Commentaires sur l’étude anglaise contestant la supériorité nutritionnelle des produits bio.
1) Critique de l’étude elle-même
L’étude a été réalisée par l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres pour le compte de la Food Standards Agency (FSA), plus ou moins l’équivalent britannique de l’Afssa. Elle a été réalisée selon le même principe que l’étude similaire publiée par l’Afssa en 2003: dépouillement des études comparatives publiées depuis 50 ans. Dans un premier temps, 162 études ont été retenues. Mais suite à l’application de critères de «qualité» très contestables, seules 55 études ont été prises en compte pour la publication des résultats finaux, qui ont fait l’objet d’un article dans le très respecté American Journal of Clinical Nutrition. Or les deux principaux critères d’exclusion étaient 1) que le nom de l’organisme certificateur n’était pas mentionné dans l’étude (d’où l’exclusion de 87 études), 2) que le nom des variétés utilisées n’était pas mentionné (exclusion de 33 études supplémentaires). D’où l’exclusion, pour l’une ou l’autre de ces deux raisons, des ¾ des études retenues initialement. Or le premier de ces critères nous semble parfaitement injustifié, et le second est très contestable. Pour ce dernier critère il faut effectivement, en toute rigueur scientifique, comparer les résultats obtenus pour une variété donnée, mais l’important est ce que consomme réellement le consommateur. Exemple: la Golden représente près de 40% du marché de la pomme conventionnelle contre beaucoup moins (on ne dispose pas de chiffres, mais il suffit de voir l’offre dans les magasins bio) en bio. La Golden étant une des variétés les plus pauvres en vitamine C, le consommateur bio absorbera, en moyenne, plus de vitamine C en mangeant des pommes que le consommateur conventionnel.
Résultats de l’application de ces critères d’exclusion:
- sur la base des 162 études sélectionnées initialement, les produits bio sont plus riches en de nombreux nutriments?: flavonoïdes (+38%, matière sèche (+10%), magnésium, composés phénoliques, phosphore, zinc, acides gras polyinsaturés.
- sur la base des 55 études finalement retenues, ces différences disparaissent, sauf pour le phosphore!
Autres critiques méthodologiques:
- dans les résultats publiés par l’American Journal of Clinical Nutrition, tous ceux concernant les composés azotés sont regroupés sous le terme «azote», alors que les différents composés azotés (protéines, acides aminés, nitrates) ont été analysés séparément. Or les résultats des 55 études retenues montrent une teneur en nitrates significativement inférieure dans les produits bio.
- En matière de teneurs en oméga 3, aucune différence n’est constatée car les résultats publiés regroupent toute les analyses réalisées sur toutes les espèces animales, sans étudier à part les résultats sur les produits laitiers, pour lesquels la supériorité des produits bio est importante et indiscutable.
- Seules les études publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture ont été prises en considération, ce qui exclut notamment les communications faites lors de colloques scientifiques.
- Il n’a pas été tenu compte des résultats de l’importante étude Quality Low Input ?Food (QLIF), qui a bénéficié d’un important financement européen et dont les résultats sont très favorables au bio (l’étude n’était pas publiée lorsque les anglais ont publié la leur, mais – information à vérifier – la Soil Association aurait demandé à la FSA d’attendre sa publication pour pouvoir l’inclure dans l’étude anglaise, ce qui aurait été refusé par la FSA).
2) Mediatisation des résultats de l’étude anglaise
Toute la presse anglaise a largement parlé de cette étude, parfois de manière assez critique. En France, la polémique a été lancée par Le Figaro, qui en a fait le gros titre de sa une le 31 juillet. L’essentiel de la polémique est venu au départ d’une erreur de l’agence de presse Reuters qui a titré sa dépêche «Une étude britannique établit que les aliments bio ne sont pas plus sains que les autres», alors que les auteurs de l’étude se bornaient à parler de contenu nutritionnel. C’était oublier que le caractère sain ou malsain d’un aliment dépend essentiellement de la présence ou de l’absence de polluants (principalement pesticides). Le message était donc complètement faussé. Hélas, l’AFP, puis presque toute la presse française, a repris le titre de Reuters et parlé de l’absence de bénéfice pour la santé et non pas simplement de contenu nutritionnel. Sans faire non plus aucune critique sur la méthodologie de l’étude (il est vrai que les journalistes ne l’avaient certainement pas lue, elle fait plus de 200 pages) La non prise en compte du problème des pesticides par l’étude a été signalée par certains médias, mais parfois avec le commentaire que de toute façon les pesticides présents dans les aliments ne sont pas dangereux pour la santé(du moment qu’on respecte les fameuses LMR, Limites Maximales de Résidus, souvent discutables!
Quant au fait que les résultats étaient opposés selon que l’on considérait les 162 études retenues au départ ou seulement les 55 finales, aucun journaliste, à ma connaissance, ne l’a fait remarquer.
2) Autres publications récentes aboutissant à des conclusions différentes
Plusieurs études concluant, contrairement à l’étude anglaise, à une nette supériorité nutritionnelle des produits bio ont été publiées récemment?:
- l’étude TOC, réalisée par The Organic Center, aux Etats-Unis, selon le même principe (bilan des études comparatives publiées, mais en excluant les études antérieures à 1980, ce qui paraît judicieux car certaines études anciennes portaient sur des variétés qui n’existent plus ou faisaient appel à des techniques d’analyses moins performantes que celles d’aujourd’hui).
- les études réalisées dans le cadre du programme européen QLIF (voir plus haut), dont les résultats finaux seront publiés fin 2009.
3) Données sur l’impact des pesticides et autre polluants des aliments sur notre santé
Des publications scientifiques de plus en plus nombreuses établissent un lien entre l’exposition – y compris non professionnelle – aux pesticides et de nombreuses pathologies. (Pour les seules années 2005 et 2006 j’ai identifié – liste probablement incomplète – 40 études établissant ce lien, dont la liste figure dans l’édition de 2009 de mon livre «Une autre assiette»). Il est certes très difficile, voire impossible, compte tenu de la multitude de polluants auxquels nous sommes exposés quotidiennement, d’établir avec certitude un lien de cause à effet entre un pesticide donné et une pathologie. Mais on sait aujourd’hui qu’un certain nombre de pesticides sont des perturbateurs endocriniens, d’autres des cancérogènes, et que les premiers agissent, notamment sur le fœtus, à des doses considérablement inférieures à celles considérées comme sans effet dans les études toxicologiques classiques. On sait aussi que les fameux «cocktails» de pesticides n’ont jamais été évalués toxicologiquement. Or de plus en plus d’aliments contiennent des résidus de plusieurs pesticides?: 32,8% des échantillons de fruits, légumes et céréales en 2007, contre seulement15% en 2000. Les dépassements de la LMR (Limite Maximale de Résidus) sont également en augmentation (7,6% des échantillons de fruits et légumes et 8,2% des échantillons de céréales). Il faudrait aussi tenir compte des pesticides que nous respirons quotidiennement et que ingérons avec l’eau. Si l’agriculture bio se généralisait, ils disparaîtraient. Enfin, pour juger de l’impact sur la santé des aliments bio comparés aux conventionnels, il faudrait tenir compte de l’impact des additifs, des antibiotiques, etc.
Ajoutons que quelques études comparatives sur des animaux ont montré que la consommation de produits bio, comparée à celle de produits conventionnels, avait un effet bénéfique sur leur santé. Mais pour répondre enfin, de manière incontestable, à la question «?les aliments bio sont-ils meilleurs pour la santé que les aliments conventionnels??», il faudrait multiplier ce type d’études et les réaliser sur de longues durées. Les méthodologies sont prêtes, mais qui est prêt à les financer ?
Claude Aubert
Ingénieur agronome
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